vendredi, octobre 30, 2015

L'Emprunt -- Djohar Wallis

Je déroge à la ligne éditoriale de ce blog - oui, rien que ça - en publiant aujourd'hui un billet sur un livre que j'ai lu il y a déjà quelques mois. Soyons honnêtes, je ne pensais pas du tout écrire à propos de ce livre et ce, pour plusieurs raisons.

D'abord, et je me répète, je l'ai lu bien avant de commencer ce blog. Mon idée de commenter à vif est de fait contrecarrée.
Ensuite, j'ai participé aux entremises éditoriales du livre. Mon objectivité est mise à mal. Et même doublement : je connais son auteure personnellement.
Enfin, et je pense que c'est la raison principale, celle qui peut vraiment vous briser votre objectivité, vous faire tomber dans le jugement le plus étroit et étriqué, son auteure et moi on se ressemble. Elle aussi parle une langue qui n'est pas la sienne. On partage un âge, un lieu de naissance et sa culture, une langue étrangère et son univers. On ne partage pas les mêmes parcours ni la même géographie, mais notre identité est tout autant morcelée. Or, nous sommes toujours plus intransigeants avec nos pairs.

Allons-y.

L'Emprunt, j'ai tout d'abord aimé le titre, ça tombe juste pour un livre, une oeuvre de langage, et puis on se demande ce qui a été emprunté. Le nom aussi Djohar Wallis. Beau pseudonyme. Djohar Wallis qui emprunte le nom d'un autre pour écrire, qui emprunte aussi un langage. Premier roman d'une jeune auteure francophone.
La structure de l'histoire, je ne veux pas en dire trop, disons que les faux-semblants et les coïncidences construisent la trame de l'histoire. 
C'est le roman d'une femme aimée, délaissée, qui emprunte l'identité d'une autre pour essayer de rattraper le passé, et qui finit prise dans les griffes du présent, un présent implacable. 
L'idée est bonne, la composition est un peu hésitante, un manque de maîtrise qui peut nous perdre de temps à autre.
Par ailleurs, je pense que les personnages manquent un peu de densité. Il y a un déséquilibre entre le personnage principal Kahina qui est d'après moi la plus intéressante, bien que les caractéristiques tombent un peu dans le cliché de loin en loin, et les autres. 
Voilà ce que je peux reprocher à ce livre, les clichés. Il y a parfois un peu trop de longueurs, non pas que ce soit détestable, certains apprécieront sûrement, mais certaines phrases sonnent creuses, elles sont là pour orner, je veux dire qu'elles sont là et on s'y attendait. C'est le défaut des premiers écrits, mais pas que... J'ai été très vite lassée de La Douleur de Duras  par exemple, tellement, que je ne l'ai pas terminé, et j'ai été ravie d'apprendre  plus tard qu'elle disait elle-même que c'était un roman qui ne lui ressemblait pas. 
Bref revenons à L'Emprunt.

J'ai aimé le personnage fuyant de l'homme que l'on ne connait qu'à travers les discussions virtuelles, ce thème si actuel des échanges si profonds avec des personnes qu'on ne connait pas. C'est une force de ce livre. Beaucoup de jeunes filles s'y retrouveront. De jeunes hommes aussi, qu'on imagine assis devant leur écran, tremblant, essayant de s'inventer une vie, pour se justifier sous le regard virtuel, à jamais absent peut-être d'une personne à séduire.
J'ai aimé y voir Alger à travers des endroits que je connais, et non l'Alger dévastée et perdue à jamais. L'Alger qui fait des rencontres et qui vit.

Enfin, j'ai apprécié ce texte dans sa francophonie, dans ce décalage entre la langue académique, la langue territoriale, et la langue exportée. Il recèle de pépites linguistiques, d'un dynamisme qui permet de revivifier cette langue et démentir ce qu'on dit d'elle, non, le français n'est pas sclérosant.

Ce roman est aussi profondément algérien, cette mélancolie propre à un peuple qui porte en lui toujours, par tout temps, ce soleil noir, ce veuvage inconsolé, ce rêve d'une tour à jamais abolie.


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