samedi, octobre 10, 2015

La Route sombre -- Ma Jian

C'est un roman qui sent littéralement mauvais. Il pue. Galerie nauséabonde d'odeurs insoutenables. L'air y est infesté par les pesticides et l'horreur du totalitarisme. 

Je me suis demandé s'il y avait un bon moment pour  le lire : difficile de le lire avant de dormir au risque de faire des cauchemars. Difficile de lire juste avant ou juste après manger. Pénible de le lire dans une rame de métro trop bondée où il est déjà parfois déjà assez malaisé de respirer. Expérience physiologique trop intense. Ma Jian nous met littéralement le nez dans la merde, et nous oblige à garder les yeux ouverts... ça pique mais il est impossible de ne pas poursuivre la lecture au fil du plus long fleuve d'Asie - le Yangtze - malgré tout.

De quoi ça parle ?



D'une femme qui est pourchassée pour son utérus. 
D'un Etat qui veut le contrôler, d'un mari qui ne veut pas le laisser en paix tant qu'il ne lui aura pas donné de fils. Contrôlez le corps de la femme, vous contrôlerez la société. La femme s'appelle Meili.

Des faits sont tellement hallucinants, qu'il m'est arrivé à plusieurs reprises de vérifier si ce n'était de la pure fiction. J'aurais préféré que ce ne soit que cela.
Je parlais du moment opportun... je pense qu'un couple voulant avoir un enfant et, plus particulièrement, une femme enceinte ou qui vient d'accoucher ne doit absolument pas le lire. Vraiment.

J'adore la littérature sino-asiatique. J'ai aimé tout particulièrement l'art de la composition du roman de Ma Jian, sa force d'écriture, qui détruit tout, qui salit tout, et qui ne s'excuse pas. 
J'ai aimé le décrochage - que j'inscris personnellement dans la littérature de ce côté du monde - un glissement vers le surnaturel, l'air de rien, un surnaturel qui prend le pas sur la réalité de manière subtile et naturelle, comme si de rien. 
La fin... parlons-en sans fâcher certains qui veulent être surpris ! Elle peut prendre le rang de symbole, celui d'une Chine qui court à sa perte en vendant son âme et ses forces vives à la modernité. C'est le baptême de l'enfant mort-né, la sacralisation d 'une vie déjà programmée pour s'éteindre dès ses premiers instants.

Je voulais enfin m'attarder sur le génie de ce roman qui repose dans le personnage de Meili. Un des personnages les plus forts et les plus sensibles que j'ai rencontré dans mes lectures. Elle n'entre dans aucun cliché. Elle veut exister, entre des contraintes culturelles qu'elle remet en cause sans jamais déshonorer et des aspirations modernes qu'elle idéalise sans jamais se fourvoyer pour les atteindre. Elle est absolue. Absolument dense. Elle nous aide à descendre ces Enfers ondoyants et nous rend le voyage un peu  plus doux, elle seule, nous fait entrevoir un peu de sens à toutes ces absurdités.


J'ai vu qu'il y avait une pièce de théâtre en ce moment (au théâtre du Rond-Point) qui s'intitule "C'est (un peu) compliqué d'être  l'origine du monde", alors je ne connais de cette pièce que son titre que mes yeux ont croisé sur une affiche entre deux lectures de La Route sombre, et je me suis dit que c'était tout à fait ça, que cela résumait pas mal de choses sur les conditions des femmes dans le monde. Le titre de cette pièce est léger bien sûr, il fait sourire... La Route sombre ne l'est aucunement.

Je souhaitais aussi préciser que Ma Jian est interdit de séjour dans son pays, depuis la publication de son Beijin Coma. Ce n'est évidemment pas une surprise. Vous pouvez lire ici une de ses interviews : "En Chine, on traite les femmes comme du bétail." 

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