dimanche, octobre 04, 2015

La Flèche du temps -- Martin Amis

J'aurais pu laisser passer quelques heures, voire quelques jours, avant de parler de ce roman, le temps que les pendules se remettent à l'heure et que les aiguilles reprennent une direction normale et redonnent du sens aux choses, mais cette lecture offre une expérience inédite et je ne pouvais pas attendre plus.
Martin Amis a choisi de raconter l'histoire d'un homme à l'envers. NON, ça ne prend pas la même forme ni les mêmes dimensions que l'histoire de Benjamin Button. C'est tout simplement la touche retour en arrière qui est enclenchée, un rewind (don't be kind), on rembobine et on observe. C'est-à-dire que les choses se font à l'envers, on dit bonjour quand on se quitte, on frappe à la porte au moment de partir, on n'avale pas la nourriture, on la recrache, on la trie, on refait le plat, on rassemble les morceaux de viande et on retourne les déposer au supermarché contre de l'argent. Tous les détails y sont - pas la peine de raconter le processus des autres besoins vitaux. Amis le fait très bien.

C'est tellement dérangeant ce monde où les prostitués payent leurs clients.
Mais ce qui met le plus mal à l'aise, c'est la voix du narrateur, qui n'est pas celle du personnage principal, mais celle d'une conscience, d'une âme qui habite en lui et qui décrit tout de façon naïve, si naïve qu'elle fait résonner toute l'absurdité et l'horreur de la vie.
On se demande vraiment où va le roman. J'ai mis une soixantaine de pages pour vraiment m'y accrocher et quelques dizaines d'autres pour vraiment comprendre - et pressentir - la raison pour laquelle on suit cet homme si dégueulasse. Rien que pour ça faut tenir. On coupe avec le cycle bien naturel, du moins celui qu'on connait, ce cycle du temps qui passe et qui rassure, qui donne l'illusion de couler dans une seule direction. L'avantage de commencer apr al fin , c'est de pouvoir mettre une fin - justement - à certaines choses innommables. En remontant le temps, Amis met enfin un terme à ces choses que nous n'avons jamais pu accepter, à ces choses inacceptables. On sait qu'elles vont se terminer puisqu'on sait qu'on arrive bientôt à leurs débuts...
Toute la monstruosité y est dépeinte. Les pages de la deuxième partie sont de vrais moments de douleur humaine et de beauté littéraire. C'est la pire des meilleures expériences de lecture que j'ai pu faire.

En cours de littérature, y'a un mot de Pascal Quignard qui peut revenir souvent : " le roman est un genre dégénérant". Disons que ce roman travaille cette limite.

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