mardi, février 02, 2016

Les origines meurtrières ou le "t'aurais pas des origines, toi ?!" --Lamya O.

L'un des objets de mon blog c'est bien les mots . Et quand je ne les trouve pas dans un livre, j'écoute ceux qui résonnent autour de moi. 

Un mot... particulièrement, du moins une expression courante en France, me pousse à m'interroger : "avoir des origines", expression qui se décline en "ça se voit que tu as des origines!", son opposé "on dirait pas que t'as des origines" mais aussi son pendant "ah moi, je n'ai pas d'origine, je suis juste français-e". Arrêtons-nous une seconde sur la profondeur de cette ineptie et répondons-y par une autre bêtise. Nan, mais allô quoi, t'es français et t'as pas d'origine ?! Tu veux un shampoing ?

Ils n'ont pas d'origine, ils sont juste là, ils étaient là toujours, depuis que le monde est monde. et nous, les venus-de-quelque-part sommes arrivés, salissures, brouillage de sangs et de teints, péché originel et originaire.
Si certains ont l'air d'avoir des "origines", et d'autres non, cela entraîne ou bien une mégalomanie ethnocentrée doublée d'un rejet de l'autre, ou bien des angoisses, des frustrations ; je ne suis "que" français. Délitement de l'identité.
Pour ceux pour qui ceci n'est pas une évidence : être français, pouvoir dire que vous venez de France, que vous descendiez d'Hugues Capet ou de Jacqou le croquant, c'est avoir une origine.
Bon, la porte de l'évidence maintenant sortie de ses gonds, on peut avancer.

"Tu as  des origines, toi" : couperet qui tombe, sentence discriminante, et quand on la reçoit en plein visage, on a l'impression que celui qui l'énonce, ce juge du sang-pur, s'attend à entendre, je plaide coupable oui, monsieur, j'ai des origines, pardon. Pas fait exprès.
T'as des origines toi, phrase incomplète, il manque un adjectif - polonaises, italiennes, cubaines,  on ne la complète plus parce qu'on sait très bien ce qu'elle veut dire.

Avoir des origines : loc. avoir la peau d'un blanc peu éclatant, avoir un accent chantant, sauter l'entrée à la charcuterie, avoir un nez un peu proéminent...

On ne dit pas d'une personne noire qu'elle a des origines. Les personnes à la peau foncée ont tellement été pointées du doigt, qu'on ne se demande même pas si elles viennent du Mali, du Burkina Faso ou du Rwanda, si elles sont peules ou si elles viennent des îles etc. On les met dans la case noire et puis c'est tout. Sans autre forme de procès. Condamnées à l'altération définitive et absolue.
On ne se demande pas non plus la même chose des Asiatiques, le juge du sang-pur est quand même assez perspicace et reconnaît certains traits manifestes. Et il est bien content de tout classer dans ses catégories, que ça ne dépasse pas.
Par contre les autres, les mulâtres ; mot horrible ;  les métis, les peau-couleur-crème, là on a du mal, on sait pas trop où les mettre, ça nous gène. On n'ose pas les classer directement dans la case étranger, on se demande d'abord s'ils se rapprochent un peu de la France, de notre mode d'être parce qu'ils nous ressemblent un peu. Tu es espagnole ? Dernier espoir d'assimilation civilisatrice, non je suis algérienne. Ah t'es rebeu ? Tu mets pas le voile ? (Ok, là je caricature, on me l'a déjà demandé mais, c'est vrai, pas au bout de la deuxième question ; le quart d'heure de politesse avait été respecté.)
D'ailleurs, dans mon cas je ne saurais vous dire exactement lesquelles elles sont, je viens d'Algérie oui - origine - mais le point de départ, petite-fille de Turc, fille de Berbère, arrière-petite-fille de Romain, et qui sait, je descends peut-être de Saint-Augustin ? Bref, je viens d'un peuple bâtard. On n'a qu'une seule mère, mais on vient tous de pères différents. Surement tous méditerranéens, on le sent, quand face à la mer, devant ses beautés, on ne peut s'empêcher de détourner les yeux. De ce père qui est au large, de son absence qui nous plonge dans cet état mélancolique propre à ce peuple. 

"Avoir des origines" est juste une façon euphémique de dire à l'autre qu'il est étranger malgré sa proximité, sa ressemblance déroutante avec soi, lui rappeler qu'il ne nous ressemble pas, de façon politiquement correcte. Comme dire " il est black" ou " c'est une personne de couleur". Hypocrisie. Malaise latent.  
Je ne dis pas, moi-même, je demande parfois de quelle origine est telle ou telle personne, enfin surtout plus jeune, quand la construction identitaire était en marche (construction qui s'est soldée par une déconstruction). Plus l'identité de l'autre est bigarrée et plus ça me réjouit.