mardi, octobre 27, 2015

Des lectures d'un Sud pris pour de l'Est. -- Conseils orientés 2/2.

Je pense que je peux mettre dans une même catégorie tous les livres que j’ai lus et qui ont été écrits par des personnes nées ou traversées par les cultures bigarrées du Mashrek et du Maghreb – au sens large. Effectivement, je ne pense pas faire de grosses erreurs en mettant pêle-mêle tous les ouvrages que je vais citer, dans une catégorie que j’intitulerai, en empruntant son titre à Maalouf, « Les désorientés ».


En dépit de ma naissance et ma langue maternelle algéroises (ou peut-être en raison de celles-ci), j’ai été bercée par la littérature franco-française jusqu’à mes vingt ans. Effectivement, ayant quitté ma terre-mère à l’âge de six ans pour la France, mon instruction a été purement française, et comme mes camarades de classe, je ne lisais pas l’arabe.
C’est en prépa que j’ai d’abord lu du francophone, mon tout premier livre a été Nedjma, de Kateb Yacine, un pilier, qui déroute. Puis, il y a ce sentiment, ce soulagement, se dire qu’on n’est pas seul. Que l’identité morcelée est l’affaire de tout le peuple, qu’on n’a trahi personne au fond. Nedjma est vu comme un pendant à L'Etranger, comme la voix de l'Arabe qu'on n'a jamais entendue chez Camus, je ne suis pas d'accord. Nedjma c'est le symbole de tout Algérien, de toute cette identité construite, fabriquée, volée par les uns et par les autres. L'Algérie, identité bâtarde, une mère absente, et des pères qui se succèdent. 
Puis sont venues toutes les lectures de Yasmina Khadra – que j’ai d’abord adoré, puis méprisé – celles d’Assia Djebbar – puis Mouloud Ferraoun. Sansal.
La Nuit Sacrée de Tahar Ben Jelloun, Maroc. Après la perte de l’identité nationale, la perte de l’identité sexuelle. Un homme, une femme. Cette frustration de ne pas avoir été conçue à l’image de son père-créateur. Cette mimétique destructrice. Grosso modo, on ne sait plus qui on est au Maghreb.
Et du côté de la Tunisie, Je suis né huit fois de Saber Mansouri, on se dit qu’on ne sait pas non plus aimer au Maghreb. On laisse passer sa chance.
Vient la lecture des Désorientés de Maalouf, en contrebas.

Puis retour à Alger, et une lecture galvanisante, Alger le cri de Samir Toumi. Ce n’est pas vraiment un roman, ce n’est pas non plus un essai. C’est un cri, que l’enfant algérien n’a pas émis en naissant, que l’adulte refoule jusqu’à l’étouffement. Un livre que j’aurais aimé avoir écrit. Il a des défauts bien entendu, des passages un peu superflus, ou un peu trop rébarbatifs, mais le livre étant formellement court, on n’a pas le temps de les déplorer. « Je demeurai longtemps errant dans Césarée… » Je cite Aragon citant Racine, mais ce sont les propos qui illustrent le mieux ce livre, et l’expérience de vie à Alger. On erre, on déambule, on descend l’avenue Didouche et on la remonte, on va jusqu’à Bab-El Oued (qui, paradoxalement, n’est pas loin du tout), et on longe de nouveau la rive jusqu’au Jardin d’Essais. On marche, ça grimpe beaucoup, on dévale pas mal de pentes aussi. De loin en loin, une vue imprenable, un paysage scandaleusement beau. Petit, Alger, mais dense. Alger le Cri, est à son image. Et la couverture seule suffit à vous le faire aimer.

Il y a eu Alger sans Mozart aussi, par là-bas.

Il se passe quelque chose quand on écrit dans une langue qui n'est pas la nôtre. Derrida en parle bien mieux moi, et c'est pour ceci que je le reprends aujourd'hui, parce que je pense que l'identité linguistique de tous  se résume dans cette phrase "je n'ai qu'une langue et ce n'est pas la mienne.", seulement les peuples du Mashrek et du Maghreb en font plus fortement l'expérience, puisque l'illusion même d'avoir une langue est détruite dès le berceau, détruite par les  armes des conflits et des guerres quotidiennes. 





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