dimanche, décembre 27, 2015

Alger, Le Cri -- Samir Toumi


Ce n’est pas vraiment un roman, ce n’est pas non plus un essai. C’est un cri, que l’enfant algérien n’a pas émis en naissant, que l’adulte refoule jusqu’à l’étouffement. 

Il a des défauts bien entendu, des passages un peu superflus, ou un peu trop rébarbatifs, mais le livre étant formellement court, on n’a pas le temps de les déplorer. « Je demeurai longtemps errant dans Césarée… » Je cite Aragon citant Racine, mais ce sont les propos qui illustrent le mieux ce livre, et l’expérience de vie à Alger. On erre, on déambule, on descend l’avenue Didouche et on la remonte, on va jusqu’à Bab-El Oued (qui, contrairement à l'expression , n’est pas loin du tout), et on longe de nouveau la rive jusqu’au Jardin d’Essais. On marche, ça grimpe beaucoup, on dévale pas mal de pentes aussi. De loin en loin, une vue imprenable, un paysage scandaleusement beau. Petit, Alger, mais dense. Alger, le Cri, est à son image.
Je l'ai lu il y a de ça quatre mois, mais ses mots font encore écho.

C'est le livre que j'aurais voulu avoir écrit, car je me suis reconnue à chaque page. Je reconnais ma ville à chaque page. J'ai écrit ailleurs que le sentiment premier de l'Algérois est la nostalgie. On est en exil dans notre propre patrie. Un déchirement. Cette déchirure au cœur, que je connais depuis le jour où mes parents nous ont fait fuir notre terre envahie par la Terreur, je pensais qu'elle était propre à ma situation, qu'elle ne s'expliquait que par la distance avec la terre natale. Puis en grandissant, en retournant chaque année auprès des miens, j'ai vu qu'en réalité ils étaient tous frappés par cette déchirure, qu'ils étaient tous plein de mélancolie, de cette mélancolie propre à un peuple qui porte en lui, par tous temps, ce soleil noir, ce veuvage inconsolé, ce rêve d'une tour à jamais abolie. Nous regrettons tous un Alger qui aurait existé. 


"On ne quitte jamais Alger, on ne quitte jamais soi-même, on ne quitte jamais sa douleur.", Samir Toumi cristallise par cette triple sanction, cette triple condamnation, la malédiction trismégiste de la ville. Alger en guerre, Alger qui tremble, Alger qui serpente.

Il semble que naître à Alger, c'est naître comme déjà-mort, hanté par des fantômes érigés en idoles, habité par les esprits de héros de guerres qu'on n'a jamais connues, menacé par la faille qui sommeille sous nos pieds. Des risques sismiques qui se rappellent à nous de temps à autre. On tressaute beaucoup à Alger. Et on remercie le Ciel quand ce ne sont que de petits vacillements. On n'aime pas prononcer son nom, Séïsme, Zenzla, comme si le dire revenait à l'invoquer, comme si d'un coup, nous possédions le pouvoir démiurgique du Verbe. Superstition et mauvais œil.
On ne vit jamais vraiment à Alger, on fuit le présent, on se calfeutre derrière les portes, et on brande nos paraboles comme des boucliers, qui ne sont là que pour nous protéger de nous-mêmes, de la beauté de notre ville et de la profondeur de notre monde.

L'auteur de ce livre, celui qui a pris la photo qui suit, nous donne le privilège de voir depuis chez lui, depuis ce point culminant duquel il peut admirer Alger dévaler vers la mer, se faire engloutir comme une épave, par les flots. Il nous permet aussi de voir comme elle résiste, comme elle s'agrippe et grimpe vers ce soleil qui l'éclaire, une lumière que je n'ai vue nulle part ailleurs.



Cette souffrance à Alger, cette âpreté de la vie, cette nostalgie de l'Algérois déchu, autant de passions qui dans un premier temps poussent à la fuite, à tout quitter pour rejoindre un lointain. Et par une force centrifuge, dans un deuxième temps, appellent à retourner à la source, à revenir sur ses pas, haletant, bégayant à la recherche des mots de la langue mère. 

On ne quitte jamais Alger.

J'ai rarement ressenti cela, lire et trouver tout ce que j'avais pensé, ou ressenti. Cette sensation de retrouver mes mots, et de trouver, le plus souvent, les mots qui me manquaient.


J'ai offert ce livre à une amie, j'aimerais le partager avec beaucoup, et, en attendant peut-être un jour de livrer la mienne, il est ma meilleure réponse à la question "C'est comment Alger ?"





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