dimanche, décembre 20, 2015

Littoral - Incendies - Forêts - Ciels -- Wajdi Mouawad

J'ai entendu parler de cet auteur par deux fois, la première à l'université lors d'un exposé, la deuxième autour d'un café en compagnie d'une amie aux yeux des plus pénétrants. 
Ce nom me restait à l'esprit, il tournoyait, promesse de voyage. Je demeurai longtemps errant dans Césarée...Jusqu'au jour où j'ai trouvé ses  livres bien alignés sur l'étagère nouvellement connue d'une amie rencontrée.



L'expérience de lecture de Mouawad : la beauté de la tragédie ; sa réalité. 
J'ai toujours aimé lire le théâtre, notamment le lire plutôt que de le regarder. (jouer le rôle de spectateur est parfois épuisant, la messe silencieuse peut être oppressante )
J'ai toujours eu du mal à m'approprier les tragédies classiques, sûrement à cause de leur enseignement à l'école, comme si tous ces mots entre moi et les textes, tous ces mots venaient faire rempart, mettre des barreaux entre moi et les œuvres. Et alors, toutes ces émotions m'étaient inaccessibles, sinon intellectuellement.

Avec Mouawad, j'ai retrouvé le droit de pleurer devant une tragédie.


Il n'y avait plus d'intellectualisation, malgré cette machine mentale, aux fabuleux rouages, qui travaille ses œuvres. 
Ces quatre pièces, forment quatre murs entre lesquels l'humanité est densifiée, condensée. On est en plein cœur de nous-mêmes. 
Qui ne connait pas le mythe d’Œdipe ? Tellement ressassé qu'il ne nous choque même plus. Très régulièrement, en pseudo-analysant un comportement ambigu d'un fils qui semble détester son père on le taxe d’œdipien. la psychanalyse du dimanche a vidé de son atrocité le plus grand crime que l'homme puisse commettre.
Et Mouawad inverse les données, nous donne un autre angle de vue, des mesures mathématiques qui mesurent et l'un et l'autre. Qui voit qui ? Qui peut se représenter son origine ? Quelles vérités sur la filiation nous révèlent les guerres? Que reste-t-il de la mère, de la famille dans un champ d'après horreurs ? La question de la vie et de la mort.
Des questions dont les réponses, inexistantes : angoissantes, nous explosent en pleine figure, en plein cœur. 
Il revisite les principaux mythes de nos civilisations, en leur redonnant une voix, les rendant plus vrais que jamais.

La violence du théâtre, la vérité de la poésie, la densité du roman. 
Hydre aux mille têtes, cette oeuvre est une créature mythique.

Ces pièces forment une tétralogie, une forme géométrique, un espace-temps.
N'ayant pas eu les quatre livres en même temps, je les ai lus dans le désordre : Incendies, Forêts, retour à la case départ: Littoral, puis Ciels : rideaux qui se baissent, boucles bouclées.
Le tout se termine dans les ciels, et non pas dans les cieux. Les ciels de couleurs, ceux du monde de l'art et la peinture. Il nous rappelle que l'art naît de la monstruosité, de l'incapacité à la dire, de la peur de la commettre. 
J'avais besoin de connaitre le premier avant de terminer, était-ce vraiment nécessaire ?  Peut-être pour mettre un point final à toutes ces horreurs, être sure que leur cycle s'achève, il fallait d'abord que je remonte à la source ? Un peu comme tous les personnages de Mouawad, qui remontent tous à la source de leur mal, du mal. Celui qui leur coule dans les veines, celui qui parcourt le monde. Nous sommes nés de l'inceste, tous nos récits fondateurs nous l'apprennent, et nous mourrons tous en sacrifiés ou en parricides. Les fils des pères, les fils des textes, ceux qui tissent nos mondes. Toutes les choses correspondent, se font écho - du Canada au Liban. Rien n'est laissé au hasard. 
Et les enfants des enfants, abasourdis par les hurlements des morts, autant victimes que coupables, coupables d'être des hommes, souvent en révolte, et les parents qui se murent dans le silence, celui de la mort, celui de l'oubli, ou alors qui crient, lorsqu'ils n'ont plus la force de rire, ni de chanter, ils crient : ce cri, le premier qui consacre la vie.

Si je ne devais en relire qu'un, bien que je les relirai tous, ce serait Incendies
Ciels, lui, intéressera ceux qui veulent y voir une prémonition, la vision anticipée de notre aujourd'hui. L'art qui tue, l'Occident et l'Orient, comme ce terroriste recherché, qui a tué un certain soir de novembre à Paris et qui avait enregistré sa puce téléphonique sous le nom de Pierre Loti... Comme on a du mal à accepter que le barbare partage notre culture... !

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