jeudi, décembre 10, 2015

Indignation -- Philip Roth



Ah du Roth comme on l'aime !

Indignation, c'est l'histoire d'un fils -juif- prodigue qui détruit toutes chances de réussir sa vie, sans le vouloir : réussir sa vie : une notion à problématiser :  à nuancer du moins. S'il l'avait voulu, prémédité, il n'aurait pas fait pire.

Le roman n'est rien d'autre qu'une tragédie, comique, dans l'Amérique profonde durant la Guerre de Corée.


Un jour, on m'a dit que les personnages de  tragédie ne pouvaient pas ne pas suivre une ligne droite, qui les mène irrémédiablement vers la fatalité - la mort. Les personnages de comédie, eux, sont ceux qui font ce pas de côté, qui débordent, et de fait nous font rire. 
Marcus, personnage principal de ce roman, est sur une ligne, et il fait un pas de côté - très drôle par ailleurs - et c'est là qu'il se retrouve sur cette autre ligne, dangereuse, qui mènera à sa perte, de la pire façon qu'il soit, celle qu'il voulait éviter depuis le début dans un désespoir et une résignation absurdement drôles.
Parce que la force de son auteur, c'est l'humour. Un humour gras, subtil, jamais lourd, très substantiel, très cru. 

Je schématise, je parle de lignes, il s'agirait de lignes strictement parallèles, qui ne se touchent jamais, si éloignées qu'il est impossible de distinguer l'une lorsqu'on est sur l'autre, et, par un concours de circonstances des plus inouïs, Marcus trouve un pont qui l'amène de l'autre côté. 
Il se fait avoir, quand tous y échappent.
Il est le sacrifié.
Le dindon de cette farce tragique.
Mais un dindon Kasher. 

C'est l'histoire d'un prude au royaume des pervertis. Ou celle du perverti au royaume des faux-dévots. Il est sacrifié sur l'autel hypocrite pour avoir pensé trop haut, ou ne pas avoir parlé plus fort.
Enfin on comprend rapidement qu'il y a un problème de degré, de nuance. Marcus n'est pas dans la nuance. Comme tout bon tragédien. Il n'y a qu'à voir son histoire d'amour. 

Comme son père. et comme celui-ci lui a inculqué, il ne croit qu'en une seule chose : faire les choses bien : correctement : de manière appliquée, nous sauve de la mort et de la déréliction. Un peu comme le processus de kashérisation de la viande, on assainit tout, en espérant avoir le salut. 

Bien sûr que ce roman est irrévérencieux, irréligieux et vide de tout espoir de salut.
Bien sûr qu'il  divise, comme toujours...
mais comment passer devant une occasion de rire, de rire de tout, de rire de l'échec, de rire de l'angoisse, et de la fin des choses.
Parce que la seule morale d'un roman, c'est la connaissance..."à savoir, la façon terrible, incompréhensible dont nos décisions les plus banales, fortuites, voire comiques, ont les conséquences les plus totalement disproportionnées." [excipit du roman]

Oh, il y a aussi une si belle réflexion sur l'Histoire, et l'histoire, et la mémoire, et le temps.
Et, comme dans son Complexe de Portnoy, la fin annonce une situation d'énonciation spécifique, et donne à relire les pages autrement.





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