vendredi, janvier 01, 2016

La Fin qui nous attend -- Ryad Girod

Je débute l'année sur ce blog par un titre coïncidant. La fin qui  nous attend...


La fin, thématique très actuelle, la fin du monde, la fin d'un temps, la fin de nos civilisations, etc. J'ai eu très peur que ce livre tombe dans les fadaises apocalyptiques du moment. 
Ce roman commence par la fin, il commence par ce tremblement, ce soubresaut, ce dernier hoquet du corps, quand l'âme s'en extirpe. Le personnage que l'on suit, celui qui parle tout au long de ces pages, a perdu son humanité, à l'image de son monde.
Son pays est en pleine guerre civile, comme notre monde, assailli par des hommes dont la haine fait seule religion, pour qui notre mort doit être leur dernier mot. 
Le roman commence superbement, puis, j'ai quelques doutes quant au personnage principal. Je le sens un peu ... vide... creux, j'ai l'impression de suivre quelqu'un qui joue un jeu, le jeu de la méchanceté, le jeu du moi-j'm'en-fous, allez-tous-vous-faire-foutre, et puis cette délectation priapique qui me fatigue... mais heureusement ça ne dure pas longtemps, le temps qu'il trouve sa voix. Le personnage reprend toute sa densité quand il nous raconte son amour, son absolu pour Douce. Douce, ce personnage absent, ce personnage fuyant, est l'une des forces de ce livre.
En réalité, toutes les forces de ce livre sont des femmes : Douce, Noura, et cette voisine - qui n'a pas de nom. Les rencontres avec ces personnages nous donnent toute l'ampleur de ce roman, ses plus beaux moments. Citons ce passage - sans trop en dire- dans lequel Nourra est ensevelie dans le noir, sous un tas de débris. On l'appelle depuis l'extérieur "Nourra, Nourra", le noir reste total. En réalité, c'est la lumière qu'on appelle dans les Ténèbres, nourra, nour veut dire lumière en arabe, c'est la lumière qu'on appelle pour que le jour se fasse, cet éclairage que l'on cherche dans l'absurdité obscure de notre monde, quand l'humanité se perd, quand elle tend vers sa fin. Poésie entre les langues. Les femmes forment l'harmonie de ce roman, son équilibre quand tout est mis en branle par les secousses, le cycle continue, et elles attendent dans les lieux de volupté, elles guettent le retour de l'homme, et reprennent leurs activités, comme si la vie en valait la peine. Ces femmes qui redonnent le sens du monde, celui de la création. Le don, la violence, le sacrifice, la bonté. Origines du monde, elles maintiennent son ordre, et en payent le prix fort. Car les souffrances dépeintes par l'auteur sont bien réelles : quelles fins pour les femmes aujourd'hui, dans nos sociétés, violées, masquées, vendues, mutilées ? 

Ce roman, comme Ryad Girod sait en faire, est court mais dense : nous avons à voir tous les tremblements de notre condition d'humains, trop fragiles quand la Terre s'ébranle, assez puissants pour détruire le monde et nos semblables. Les personnages se dévorent les uns les autres, ils s'entretuent. 

Rien n'est jamais complètement dit chez Ryad Girod, tout est suggéré, mesuré. Tout fait symbole. 
Quand le parricide est communément vu comme le pire des crimes, il nous rappelle ici que le meurtre du fils par le père est le paroxysme de l'absurde, ainsi que la fin de tout espoir. Dieu qui ensevelit sous les eaux toute sa création. La relation du père au fils est symptomatique de notre société : des enfants qui font tout pour se protéger du manque de signification de leurs pères, qui se goinfrent des plaisirs qu'on leur offre, puis vomissent ce trop-plein d'absences à la gueule du monde.
Déluge. Déluge d'infos, déluge de photos, déluge d'horreurs. Cette terre anonyme, ce pays dans une guerre non nommée, c'est notre monde actuel, qui enterre ses enfants, et qui scénarise la souffrance des parents "vos guerres, nos morts", vos photos : votre pathos médiatisé : vos plaisirs.

Que dire de la religion dans ce livre... Tout comme dans notre réalité, la religion est de l'ordre de l'intime, or ce qui semble lier les gens entre eux n'est autre que la superstition. Comme les catastrophes naturelles expliquées par le mauvais comportement des humains, et notamment des femmes. Tout y paraît irréel, et pourtant c'est ce qui a lieu dans le monde.
Des souvenirs du tremblement de terre, des souvenirs qui me reviennent de ces quelques jours qui ont précédé l'an 2000, un nombre qui faisait peur, un nombre vu comme le dernier : dans cette autre ville où j'étais à cette période, cette ville qui ressemble étrangement à la ville anonyme de ce livre, on ne trouvait personne dans les rues - ou presque ; la peur, la haine, l'aliénation.

Ryad Girod cristallise tous les maux qui traversent l'humanité telle qu'on la connait, et réalise l'impensable, consomme le tabou, en faisant surgir des milieux les plus funestes, en faisant surgir de ces femmes avilies, de ces femmes tour à tour désirées et humiliées, mille fois violées, la beauté et la vérité de la vie.

J'avais lu son premier livre, Ravissements, dont je parle ici. Et même si j'ai beaucoup aimé suivre le parcours de cet homme qui se redécouvre humain, dans La fin qui nous attend, ce qui m'a le plus plu, c'est ce que j'avais aussi adoré dans son premier livre : ses phrases vertigineuses, aussi longues que belles, souvent sans ponctuation dans un style libre et haletant, qui nous enveloppe, qui nous précipite vers la fin.

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