mercredi, janvier 27, 2016

Ce jour où je n'ai plus été blanche -- Lamya O.

Longtemps je me suis crue blanche de peau. 



On me le disait souvent, on me disait même que j’étais pâle, que je me confondais avec les murs. Je me souviens d’un premier jour de cours, où l’enseignante est allée jusqu'à me dire, en faisant l'appel  : « Ah ! mais, tu es trop blanche, tu es sure que tu n’es pas malade ? », alors je lui ai répondu que j’étais kabyle, que c’était mes origines, que les Kabyles, conquis par les Romains et les Arabes étaient souvent blancs de peau, parfois les yeux clairs, mais aussi (parfois) basanés, voire à la carnation noire. Mélange de cultures, fierté.

En tous cas, j’étais blanche. J’étais blanche parce qu’on me le disait. Blanche à en voir le bleu de mes veines, jusqu'à me complexer parfois, notamment au moment de dévoiler mes jambes translucides sur la plage.
J’ai eu pas mal de coups de soleil  qui m’ont confirmé aussi que j’étais blanche.
Et tous s’accordaient pour me renvoyer ma pâleur, parfois de façon douloureuse, d’autres fois, en me disant que c’est bizarre pour une Rebeu d’être blanche, alors je repartais de mon petit discours sur les Kabyles et les colonisations successives.

Or depuis cette année, lorsque je dis que je suis blanche (n'allez pas croire que j'en fais une obsession : c'est arrivé par deux fois : simple concours de circonstances), on me dit « euh, non t’es pas blanche. Regarde bien, tu n’es pas blanche comme Marie », je n’avais pourtant pas dit que j’étais blanche comme Unetelle, j’avais simplement dit que j’étais de couleur blanche. On m’a dit aussi « enfin, tu n’es pas noire, mais bon on voit que tu as des origines. Tu ne tends pas vers le rose quoi… » Bah non, j’ai juste dit que j’étais de couleur blanche Dialogue d'un comique absurde. 
Je pensais donc être blanche, enfin c’est comme ça que les gens me décrivaient avant, quand ils ne se posaient pas plus de questions. Mais depuis quelques temps, je suis "mate".

Je n'en veux pas à ces personnes qui me l'ont dit, cela les dépasse comme ça me dépasse. C'est le diktat du "on", on est devenu plus regardant. J'étais toutefois déstabilisée d'entendre que j'étais mate, après toutes ces années blanches ; cela s'est vu dans mes yeux, et on a eu vite fait d'ajouter "non, mais, ne le prends pas mal, enfin c'est juste que tu n'es pas blanche comme moi, regarde bien" et elle tend son bras pour que l'on puisse comparer l'incomparable. Je crois que c'était la parole de trop. Je n'ai pas voulu arguer davantage, ni justifier ma blancheur comme on justifiait de ses quartiers de noblesse. La question n'est pas là.

Je m’interroge. Je me demande ce qui a changé. Il est vrai que je reviens d’une année – presque – entière à Alger, et il se peut que mon teint ait changé, qu’il soit moins blafard. Pourtant en arrivant en France, enfant, j’avais passé six années sous ce même soleil d’Alger, et j’avais été tout de suite rangée dans la case blanche. 
Le nuancier n’était peut-être pas aussi nuancé à l’époque.

Alors je m’interroge, qu’est-ce qui a changé ? Ma peau ou le regard des autres? Qu’est-il arrivé depuis ce temps où j’étais blanche ?


 Il y a eu les attentats du 11 septembre, il y a eu les menus hallal ou non à la cantine, il y a eu Daesh, il y a eu le voile,  il y a eu la montée des extrémismes, la couleur bleue marine sur la carte des régionales, il y a eu la délinquance juvénile prévisible née dans des cités où avaient été parqués des gens au blanc pas si propre que ça. 
Bref, je ne suis plus aussi blanche que blanche (je pense à Coluche en écrivant cela). Je suis dorénavant d’une couleur blanche qui aurait viré, viré un peu au jaune ; je suis blanche comme le beurre.

Ce n'est pas juste la couleur, vous me direz, d'être Blanc, ce mot, ce que les gens lui font dire, c'est être occidental. Mais cela n'explique pas non plus pourquoi on me disait blanche toutes ces années pour me souffler à la figure une autre couleur.

Les mots disent notre vision du monde. Il y a une langue – un dialecte africain – où il n’existe que deux mots pour catégoriser toutes les couleurs, lesquels, traduits littéralement, signifieraient « clair », « foncé ».

En Kabyle, justement, pour dire « blanc » et pour dire « beau », on utilise le même mot. La catégorisation est assez rude – comme certaines communautés qui résistent, les Kabyles font parfois preuve d’un rejet de l’autre. Pour mieux se distinguer des Arabes, certains Kabyles, minoritaires, prônent cette couleur blanche. Elle est un signe – raciste mais pourtant - positif chez eux. En rejetant, on se construit. C’est vieux comme le monde, et très ségrégatif.
Aujourd’hui, il me semble (je peux me tromper) qu’on ne me dit plus que je suis blanche, parce qu’une frange de la communauté, avec qui je vis depuis plus de vingt ans, est tombée dans une crispation, passive ou active. On distingue les différents degrés de blanc. On est plus méticuleux dans le processus de construction de soi et de l’autre, dans le processus de pulvérisation de ce qui n’est pas comme soi.

Ils appellent cela la crise identitaire. 

Les mots sont importants, je ne vais donc pas crier au racisme, d'abord parce que je suis déjà trop occupée à tenter de déjouer toutes les pressions sexistes qui pèsent sur moi en tant que femme, ensuite parce que j'ai toujours été à l'abri du racisme pur, j'ai pu aller aussi loin que je le souhaitais dans mes études grâce à des gens qui ont cru en moi, je ne rentre pas dans la plupart des clichés, mon travail ne dépend pas de mon nom et de ses sonorités. Cependant, cet entre-deux m'a toujours permis d'observer la face perfide et sournoise du racisme ordinaire.
Cette évolution du regard des autres sur moi, ce changement de couleur auquel on me contraint n'est rien par rapport à ce que d'autres vivent au quotidien.  Elle  montre simplement une évolution des mentalités certaine.

Ce qui me fait dire que je suis bien heureuse que la couleur ne fasse pas l'identité, ou bien j'en aurais été déchue aujourd'hui même.

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