dimanche, novembre 29, 2015

L'odyssée de la race des oublieux.

Je n'ai pas publié de lectures cette semaine pour plusieurs raisons, 
tout d'abord la difficulté de lire dont je parlais dans mon article précédent, 
mais aussi, après l'avoir surmontée, la décision de lire un livre qui est à la source de toute notre culture, qu'on cite régulièrement, que moi-même je cite quelques fois mais que je n'avais en réalité jamais ouvert : L'Odyssée
Je ne pensais pas faire un billet de cette lecture, je crois qu'elle me dépasse en réalité.




J'ai adoré la découvrir, je suis entraînée dans les épreuves d'Ulysse, charmée par les beautés des sonorités et des répétitions (je lis la version de la collection Babel, chez Actes Sud, une collection que j'apprécie, qui ne me déçoit jamais), j'adore ces histoires imbriquées, ces récits rapportés, je retrouve la magie délicieuse de se laisser raconter des histoires qui emmènent dans un lointain phantasmé, mais... je ne m'y vois pas, je ne m'y retrouve pas, c'est peut-être trop vieux pour moi. 
Et là, j'entends les puristes, les immortels gardiens de la littérature, souvent autoproclamés, ou du moins applaudis par leurs pairs, qui crient déjà au scandale, qui ont tôt fait de me mépriser et de vouloir peut-être même m'enlever mon droit d'enseigner les lettres (quand certains parlent de m'enlever ma double nationalité) Quoi ? N'a-t-elle donc rien compris à la beauté de ce texte ? à son universalité ? à sa vérité toujours d'actualité ? Et pourtant, je suis persuadée, tout autant qu'eux, que "rien n'est plus vieux que le journal de ce matin, et Homère est toujours plus jeune.." (Cit. de Charles Péguy)  Et je le crois tout à fait, et tout le monde peut en faire l'expérience, surtout en ce moment, avec ce qui a lieu depuis le 13 novembre, mais aussi depuis le 11 septembre, et entre temps depuis Facebook, Twitter et Instagram : rien ne s'effiloche plus vite que le fil d'actualité de ces réseaux, rien ne vieillit plus vite que la Une d'un journal. Alors que les livres, les objets de littérature n'ont pas comme mesure le temps, mais les yeux de celui qui les lit. Et j'en ai bien conscience. Il n'empêche que L'Odyssée, père des poèmes, me semble loin. 
Je n'y suis pas très à l'aise, je me sens toute petite, j'étouffe parfois sous les répétitions, ça me soûle aussi que les femmes soient objets sexuels, mères ou démons, je ne saurais citer un vers de l'oeuvre, et puis, bon, ces dieux-là y peuvent pas faire un truc pour qu'il rentre chez lui, Ulysse ? Bon et sérieux, il était vraiment obligé de faire le fanfaron et de crever l’œil du fils du dieu le plus relou du panthéon ? Non, mais, et puis c'est quoi cet homme qui subit toutes ces épreuves, qui ne peut rien contre son destin malgré tous ces dieux et autres oracles, et qui, même en connaissant les prophéties et les malédictions qui l'attendent, se jette tout de même tête la première dans le piège ? 

Bah, cet homme, c'est l'humain : c'est toi : c'est moi.

Je ne vais pas aller  jusqu'à dire "Ulysse, c'est moi !", mais Ulysse, son épopée, c'est la vie, la vie sans Internet et la science. Cette fascination que l'on a pour les mythes, ce désir que l'on a d'entendre ces récits d'avant, que nous révèle-t-elle vraiment ? 
Que la vie pourrait être plus facile, que le monde pourrait être plus simple, mais que nous, êtres humains, nous cherchons toujours la complexité, l'épreuve, et la douleur. Parce que vivre, c'est  aussi souffrir, et qu'on aura beau multiplier le nombre de facilités, de commodités, au bout du compte, on y est exposés. On oublie, nous, race des oublieux ; El Insan, celui qui oublie, et le mot qui traduit "homme" en arabe.
Les derniers événements nous montrent bien notre fragilité d'êtres surcivilisés, 
nous avions oublié le risque de la vie,
et la peur nous a séduits, un sentiment comme nouveau, qui revient malgré nous, malgré tout. 

Comme m'a dit une amie aux yeux pers le lendemain des attentats, au petit matin, en reprenant la ligne 9 : "tu sais on n'est pas plus en danger qu'hier matin à la même heure..."

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