dimanche, novembre 22, 2015

Le Liseur -- Bernard Schlink

Voici un livre embarrassant.
Du début à la fin.
Cette femme qui a une relation amoureuse avec un enfant de 15 ans, cette autre femme qui ne sait pas lire et qui est prête à mourir plutôt que de l'avouer, cette autre qui était SS.
On ne sait plus qui est gentil, on ne sait plus qui est méchant. Peut-être le narrateur lui-même ? Bien qu'il n'ait commis aucun crime, il apparaît souvent comme pire que cette gardienne de déportées qui emmène des filles du camp de travail, jeunes et fragiles, le soir, les isole pour faire on ne sait quoi - elle ne le dit pas - avant de les envoyer à Auschwitz ; par lassitude ? Parfois ce jeune garçon de 15 ans devenu un homme paraît bien plus coupable que cette autre femme qui disparaît du jour au lendemain laissant son amant aux abois.
C'est un roman comme je les aime, il a une histoire, il a une direction, une dynamique qui vous pousse à aller de l'avant, à découvrir les différents secrets - certains plus évidents que d'autres- tout en sachant très bien que ces vérités ne donneront aucun sens à l'histoire.

Il n'y a pas de morale dans un roman, comme dit Kundera. On ne sait pas qui est le bon, qui est le méchant. L'amour compte, certainement. Mais reste-t-il une quelconque morale après les camps ?

En réalité, j'ai achevé ce livre il y a bien deux semaines, j'en ai commencé un autre, avant d'être coupée dans mon élan par l'horreur des attentats de Paris. J'ai du mal, depuis, à prendre un livre. Bien sûr, c'est la conséquence la plus indirecte et la moins sérieuse du massacre. N'empêche que nos esprits sont paralysés, l'horreur est encore trop fraîche, or lire c'est aussi s'isoler, prendre de la distance, et pour le moment, c'est assez difficile. Je reviens un peu aux sources, je lis L'Odyssée, un peu pour moi, beaucoup pour mes élèves.
Je lis moins aussi parce que lisant principalement dans les transports en commun, il es devenu plus difficile de le faire malheureusement, n'est-ce pas... je ne suis pas la seule à être un peu angoissée en traversant les entrailles de Paris... tant et si bien qu'il est beaucoup moins naturel de rester le nez figé dans les pages de son livre.

Ayant achevé ce livre il y a deux semaines, je ne comptais pas en publier le billet aujourd'hui, puis repensant à ma lecture, et à tout ce que j'ai pu lire sur internet depuis le 13 novembre, m'est venu à l'esprit le parallèle entre Hanna et les terroristes qui tuent au nom de Daesh. Hanna est aimée, Hanna a une âme et veut apprendre à lire, Hanna a honte de ne pas savoir lire, Hanna a un coeur. Pourtant, c'est Hanna qui conduisait les juifs à être exterminés, c'est Hanna qui n'avait pas voulu ouvrir la porte de l'église qui brûlait, y laissant se consumer les déportées. Hanna est humaine, et nos bourreaux modernes aussi.
Ce n'est pas nouveau : il n'y a du monstre que dans l'Homme.
Hanna la nazie analphabète n'était pas intégrée. Elle n'avait pas les mots. Elle ne pouvait pas déchiffrer le monde qui l'entourait. Elle obéissait aveuglément à une Loi, mais elle était assez sensible pour la comprendre. Peut-on justifier son comportement par cette frustration de ne pouvoir lire ?
Les terroristes qui sévissent actuellement ont les mots. On les croyait tous désorientés, hors de la civilisation, barbares au sens propre du terme, ça nous arrangeait, mais non... on apprend qu'ils sont infirmiers, ingénieurs, que ce sont des ados "de bonne famille", qui rêvent de changer le monde. Que manque-t-il à leur grille de lecture des choses ? Où avons-nous échoué ? Et nous voilà par milliers à dénoncer les dérives de l'Etat.
D'autres y voient tout simplement les dérives de l'islam, la barbarie y serait intrinsèque... tellement plus facile de penser cela, tellement plus facile de justifier, d'incriminer plutôt que de dévisager le tout-puissant néant de leurs actes. Alors on préfère continuer de faire des catégories, y ranger ceux qui ne nous plaisent pas dans celle des "méchants", et bien refermer la porte, à double tour, derrière soi.

Car l'horreur, oui, d'accord, mais l'horreur sans fondement, l'horreur sans raison est au-delà de nos forces... or voilà même ce qu'on subit en ce moment, une potentialisation de l'absurdité absolue qui nous laisse hébétés et abasourdis.







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