dimanche, novembre 08, 2015

Marcher (ou l'art de mener une vie déréglée et poétique) -- Tomas Espedal

Marcher ( ou l'art de mener une vie déréglée et poétique) est un bel objet, littéralement et dans tous les sens.
Tout d'abord la couverture, comme vous pouvez le voir, est magnifique, saisissante. De toute façon, je savais que je ne me trompais pas, l'édition Babel recèle de surprises exotiques. 
J'étais aussi contente de lire de la littérature scandinave qui ne soit pas policière ou glaciale.


Marcher, c'est l'histoire d'un homme qui marche, qui quitte tout et qui marche.  Le livre a la forme d'un roman, et il en possède la nature, hybride. On ne sait plus si le récit est là comme prétexte à une sorte de thèse sur la marche et la littérature ou si c'est la théorie de la marche à pieds qui est un prétexte à l'écriture. Comme dans une thèse, vous trouverez à la fin un catalogue des ouvrages cités. Comme dans un roman vous trouverez la profondeur des personnages, le burlesque de certaines scènes.

Découpons le texte en trois parties. La première est d'une profonde richesse, peuplée de citations, d'idées empruntées aux écrivains du monde, philosophes de toutes les époques. On se dit mais ce mec écrit une thèse ! C'est le guide du routard version intellectuel décomplexé. C'est un poème qui vous dit pourquoi et comment marcher. Le tout est magnifiquement ficelé, aucun pédantisme malgré ces références qui pullulent. Tout est à portée de tous.
 Et on découvre des auteurs aux noms froids, qu'on n'arrive pas à prononcer et qui viennent du nord de l'Europe et on redécouvre des auteurs qu'on aime. Et, fait à noter, les références sont telles qu'on retrouve beaucoup de noms de femmes de lettres, il est rare qu'elles soient mises en avant : une vraie libération en marche. 

Puis vient cette deuxième partie, qui m'a ennuyée par-ci par-là. Je pense aussi avoir été déçue : je m'attendais à contempler des paysages norvégiens hors du commun, à en avoir plein la vue. Il y en a certes, mais rien de saisissant. Ne pas parler de soi de manière flamboyante, c'est un atout de T. Espedal.  On arrive à Paris. Espedal parle très bien de Paris. C'est drôle, c'est sympa. Mais on traîne des pieds. On ne sait plus trop où on va comme ça, on est fatigués, on n'en voit plus le bout.
Il pense, il marche et il pense. Mais... parfois on aimerait qu'il pense plus vite ou qu'il arrête de marcher... enfin qu'il fasse quelque chose pour que la route soit moins longue... Et puis arrivent ces pages, ces pages si belles, ces chemins qu'il traverse depuis la Grèce jusqu'en Turquie. T. Espedal parle si bien de ce qui lui est lointain.

Cette dernière partie nous fait oublier tout l'ennui ressenti de loin en loin. Ces pages sont merveilleuses, délicieuses comme les mets qu'il goûte et les gens qu'il rencontre. C'est la récompense du voyage, la découverte de la Terre promise après tout ces périples. Ce n'est pas innocent que, parmi toutes ces terres visitées, l'auteur ait choisi de finir sur ces terres, dans ce berceau géographique, ethnocentré et symbolique de notre civilisation. Si lointain et si proche à la fois. Cette partie est forte, elle nous prend, une élévation, je l'ai vécue presque comme une apothéose.

Ce livre est plus ou moins abordable, il faut être habitué à ces langueurs que la littérature se permet. Un peu comme la marche, il faut persévérer, regarder l'horizon et contre la monotonie de la marche, qui est souvent synonyme de solitude, se faire violence et continuer. 

Marcher, lire et écrire se suivent, se piétinent. 

Je sais que je reviendrai de temps à autre à ce livre, non pas pour le relire en entier, mais simplement certaines pages, pour prendre quelques citations ou trouver quelque nouvel auteur à découvrir, tout comme on aime à parcourir certaines routes, de nouveau, simplement pour le plaisir d'y retrouver une vue, un paysage.

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