lundi, novembre 02, 2015

La frustration du délire.

Depuis que j'ai commencé ce blog, on m'a souvent dit :

 "ça donne envie de lire tous les livres dont tu parles, mais on n'a pas le temps.", 

autrement dit, mon blog est celui de la frustration. Face au temps qui coûte de plus en plus cher. Et le sentiment de culpabilité.


Cette culpabilité de ne pas lire, cette culpabilité à lire.

Récemment, j'ai appris à me donner le temps de lire. Je suis aidée par mon nouveau lieu de travail qui est à deux heures de chez moi (l'Education Nationale et les joies du stage). Cela faisait bien un an que je ne lisais plus. Je ne prenais pas le temps, je ne me le donnais pas, et le peu qui me restait était pris dans la toile de l'araignée la plus dangereuse de notre siècle, le web et ses longues pattes velues. Chronophage, c'est peu de le dire. Je passais mes soirées devant les minis écrans, et je n'avais plus du tout l'énergie, ni l'envie de feuilleter mes livres. Ce nouveau trajet qui me force à être assise pendant quatre heures tous les jours m'a permis de reprendre goût à la lecture, seul rempart contre l'ennui, contre l'aliénation des transports en commun, contre le sentiment de vide, d'inefficacité, contre la recherche d'un temps à jamais perdu, avalé par les kilomètres faits à l'aube, et défaits le soir. 
Et plus on lit, plus on a envie de lire. Ce nouveau réflexe  a repeuplé mes soirées, je n'allume plus automatiquement mes machines le soir, avant de dormir, je reprends mes gestes de l'enfance que je croyais à jamais disparus. Cette montee d'adrénaline à vouloir faire une course contre la montre, contre soi-même, essayer de lire le plus de pages avant que le sommeil ne vienne, essayer d'avancer dans l'intrigue. Ce n'est plus les parents qui nous menacent d'éteindre mais l'heure du travail qui approche dangereusement. Je relis même de bon matin. Cette excitation nous a été usurpée par les joies de l'instantané, monopolisée par le virtuel et les actualisations et réactualisations de du "fil d'actualités". L'expérience d'Internet a battu le livre. Car le livre ne donne pas cette illusion d'un instant à chaque fois réinventé. Le livre construit un monde et aucun monde ne s'est fait en un jour. Et puis la littérature convoque à cette angoisse de l'infini. Un rapport au temps intrinsèque.

Mais quand on nous dit "moi, je n'ai pas le temps de lire.", on se sent comme salaud, un peu oisif, privilégié de posséder ce temps pour la lecture, et on veut se justifier. Quand j'étais pionne, à 40 heures par semaine, je cumulais un job par ailleurs comme prof particulier, je travaillais 50 heures par semaine et je remboursais un prêt étudiant. De temps à autre, je volais quelques pages entre deux surveillances abruties de couloir, et parfois ce mot de la principale, ancienne prof d'anglais : "oh ! que vous avez de la chance d'avoir encore du temps pour lire". Et je la voyais s'éloigner, entendant le claquement de ses talons Louboutin, empressés d'aller déjeuner à la terrasse en face du parc, pas loin du collège. Chacun s'offre le luxe qui lui sied madame. 
Voila le mot est dit, lire semble être devenu un luxe. Il l'a toujours été pour les plus démunis, il l'est devenu pour ceux qui ont toujours pu se l'offrir.
Ce n'est pas une critique de notre société, je ne compte pas révolutionner le monde, je ne condamne pas non plus l'Internet, outil génial. Outil avant tout. Je remarque tout simplement, amusée, cette culpabilité à lire, cette culpabilité de ne pas lire. Amusée comme lorsque je remarque ces regards qu'on jette en coin pour essayer de déchiffrer le titre que je tiens ici et ailleurs. Ces regards furtifs, curieux, pleins de désir mimétique, de désir de reconnaissance, que je suis la première à lancer.

2 commentaires:

  1. Merci pour cet article qui pointe du doigt un des phénomènes les plus graves de notre société actuelle à mon sens : la perte des repères temporels, le règne de l'instantané. Le temps file et nous emporte dans sa course folle dans un dangereux tourbillon. Si nos activités sont chronophages, le temps, lui, est anthropophage. Alors la lecture comme remède et comme bouclier contre les crocs du temps, moi, j'y crois.
    Il est urgent de prendre son temps !
    Bertille

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