mercredi, novembre 13, 2019

Les Jeunes Filles -- Henry de Montherlant

Terrible, il est terrible,

voilà mes premiers mots en refermant le roman.

Montherlant, je le fréquente plus ou moins depuis 3 ans, je bois des cafés avec lui, enfin avec un de ses spécialistes, et du coup j'ai l'impression de le connaître. Je sais par exemple qu'il aime les chats et les corridas.
Je sais aussi qu'il n'est pas aimé.
On ne lit pas Montherlant, on le méprise, on le déteste, au mieux : on le méconnaît.
Faut dire qu'il brouille les pistes, qu'il est à la fois conservateur et révolutionnaire, non pas pour la décolonisation mais pour la liberté des peuples, proche des Maghrébins (d'après ma lecture de La Rose des sables) mais avec des relents de paternalisme un peu abject, un tantinet phallocrate tout en ayant une réelle conscience de l'asservissement des femmes par la société. 
Et c'est exactement ce que nous raconte ce livre : la misère des femmes dans une société où le seul but est de se marier.
"Un homme qui lit une feuille d'annonces matrimoniales peut délivrer, tour à tour, plusieurs des hommes qu'il y a en lui : l'homme qui rit, l'homme qui convoite, l'homme qui réfléchit ; dans cet "homme qui réfléchit" il y a aussi un homme qui pleure"

Il met en scène Costals, un homme qui ne s'intéresse qu'à sa propre personne, et qui se désintéresse d'une femme aussitôt qu'il l'a séduite - autrement dit : un mal.... un mâle... aussi vieux que le monde. 

Dès l'avant-propos l'auteur met en garde contre toute tentative de rapprochement avec sa propre personne, effectivement, si cela devait être une autobiographie, ce ne serait rien d'autre que le portrait de l'artiste en jeune connard. Costals est tellement moqué, tellement ridiculisé dans ses atours d'écrivain - moins dans ce qu'il écrit cependant- que je ne peux m'inscrire que contre Sainte-Beuve et n'y chercher aucune ressemblance avec son auteur. 

Autour de cet écrivain séducteur tourbillonnent 4 femmes, les jeunes filles, au sens de femmes non mariées, éponymes. La composition - géniale - du roman est telle que nous avons accès à leurs pensées les plus profondes : lettres entrecoupent passages de carnets et autres écrits intimes. 

L'écriture est vraiment délicieuse, on rit beaucoup avec Montherlant. On rit de soi aussi, car on ne peut pas ne pas reconnaître les abysses des amours transies, des amours ridicules.  C'est terrible car c'est cruel, criant de vérités psychologiques, relationnelles, sociales. 
Costals, le seul homme de ce livre, misogyne, détestable, provoque chez ces femmes, victimes d'une société qui ne leur donne pas la possibilité d'être complètes par eux-mêmes, une souffrance des plus vibrantes. 

On a souvent reproché à Montherlant sa misogynie; certes il essentialise les femmes dans ce roman, il les rend d'une certaine manière interchangeable à travers le regard de Costals, le fait même qu'il montre son personnage sous son jour le plus méprisant montre bien qu'il condamne ses agissements et ses pensées. 
C'est la peinture sociale d'une union injuste, toujours injuste, car toujours fondée sur l'idée que l'homme est complet et que la femme non, que l'un peut être indépendant et que l'autre non. Dans ces sociétés, toute relation ne peut être qu'abus de pouvoir. Est-ce que j'irai jusqu'à dire que Montherlant est féministe ? J'ai dit que j'étais Contre Sainte-Beuve. Et je lis Céline. Alors je m'en fous un peu. 
Et d'ailleurs en tant que femme d'origine africaine, si je devais m'arrêter à ce genre de critères ... je n'aurais que peu d'auteurs pour meubler mes étagères.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Un commentaire?