Je pense que je
peux mettre dans une même catégorie tous les livres que j’ai lus et qui ont été
écrits par des personnes nées ou traversées par les cultures bigarrées du
Mashrek et du Maghreb – au sens large. Effectivement, je ne pense pas faire de
grosses erreurs en mettant pêle-mêle tous les ouvrages que je vais citer, dans
une catégorie que j’intitulerai, en empruntant son titre à Maalouf, « Les
désorientés ».
En dépit de ma
naissance et ma langue maternelle algéroises (ou peut-être en raison de
celles-ci), j’ai été bercée par la littérature franco-française jusqu’à mes
vingt ans. Effectivement, ayant quitté ma terre-mère à l’âge de six ans pour la
France, mon instruction a été purement française, et comme mes camarades de
classe, je ne lisais pas l’arabe.
C’est en prépa que
j’ai d’abord lu du francophone, mon tout premier livre a été Nedjma, de
Kateb Yacine, un pilier, qui déroute. Puis, il y a ce sentiment, ce
soulagement, se dire qu’on n’est pas seul. Que l’identité morcelée est l’affaire
de tout le peuple, qu’on n’a trahi personne au fond. Nedjma est vu comme un pendant à L'Etranger, comme la voix de l'Arabe qu'on n'a jamais entendue chez Camus, je ne suis pas d'accord. Nedjma c'est le symbole de tout Algérien, de toute cette identité construite, fabriquée, volée par les uns et par les autres. L'Algérie, identité bâtarde, une mère absente, et des pères qui se succèdent.
Puis sont venues
toutes les lectures de Yasmina Khadra – que j’ai d’abord adoré, puis méprisé –
celles d’Assia Djebbar – puis Mouloud Ferraoun. Sansal.
La Nuit Sacrée de
Tahar Ben Jelloun, Maroc. Après la perte de l’identité nationale, la perte de l’identité
sexuelle. Un homme, une femme. Cette frustration de ne pas avoir été conçue à l’image
de son père-créateur. Cette mimétique destructrice. Grosso modo, on ne sait
plus qui on est au Maghreb.
Et du côté de la
Tunisie, Je suis né huit fois de Saber Mansouri, on se dit qu’on ne sait
pas non plus aimer au Maghreb. On laisse passer sa chance.
Vient la lecture des Désorientés de
Maalouf, en contrebas.
Puis retour à
Alger, et une lecture galvanisante, Alger le cri de Samir Toumi. Ce n’est
pas vraiment un roman, ce n’est pas non plus un essai. C’est un cri, que l’enfant
algérien n’a pas émis en naissant, que l’adulte refoule jusqu’à l’étouffement.
Un livre que j’aurais aimé avoir écrit. Il a des défauts bien entendu, des
passages un peu superflus, ou un peu trop rébarbatifs, mais le livre étant
formellement court, on n’a pas le temps de les déplorer. « Je demeurai
longtemps errant dans Césarée… » Je cite Aragon citant Racine, mais ce
sont les propos qui illustrent le mieux ce livre, et l’expérience de vie à
Alger. On erre, on déambule, on descend l’avenue Didouche et on la remonte, on
va jusqu’à Bab-El Oued (qui, paradoxalement, n’est pas loin du tout), et on longe de nouveau la rive jusqu’au Jardin d’Essais. On marche,
ça grimpe beaucoup, on dévale pas mal de pentes aussi. De loin en loin, une vue
imprenable, un paysage scandaleusement beau. Petit, Alger, mais dense. Alger
le Cri, est à son image. Et la couverture seule suffit à vous le faire
aimer.
Il y a eu Alger
sans Mozart aussi, par là-bas.
Il se passe quelque chose quand on écrit dans une langue qui n'est pas la nôtre. Derrida en parle bien mieux moi, et c'est pour ceci que je le reprends aujourd'hui, parce que je pense que l'identité linguistique de tous se résume dans cette phrase "je n'ai qu'une langue et ce n'est pas la mienne.", seulement les peuples du Mashrek et du Maghreb en font plus fortement l'expérience, puisque l'illusion même d'avoir une langue est détruite dès le berceau, détruite par les armes des conflits et des guerres quotidiennes.
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